Compte-tenu des quantités importantes de neige qui sont tombées ces dernières semaines dans la vallée d’Aure et du redoux qui s’en est suivi, il n’est point étonnant que les avalanches fassent parler d’elles en ce moment. Ainsi, toute la France a les yeux braqués sur la petite commune d’Aulon, coupée du monde ces derniers temps …
Il m’a semblé intéressant de voir comment la commune avait affronté ces éléments naturels jadis. Je vous livre ce témoignage recueilli dans la monographie de l’instituteur Georges Cérèze rédigée en 1887.
« L’hiver de 1603 avait été rude; la neige était tombée en abondance. Aulon et la vallée presque toute entière cachée aux rayons du soleil pendant la saison des frimas dormaient ensevelis sous un épais linceul, tandis que les loups enhardis par la faim et deux longs mois de cruelles souffrances s’aventuraient jusque dans l’intérieur des habitations. Et les pauvres gens ! Ah ! mornes et tristes, ils attendaient anxieusement que le doux soleil de mars vint attiédir l’atmosphère, fondre les neiges, rendre leur liberté aux malheureux.
Pâles et presque défigurés par les privations et la rareté de l’air, ils cherchaient à tromper les lenteurs du temps par le récit des catastrophes que de pareils hivers avaient amenées dans le pays.
Enfin, mars apparut tout grelottant encore mais égayé déjà par quelques rayons bienfaisants de l’astre du jour.
On devine la joie des bons paysans d’Aulon. Ils allaient et venaient dans leurs chaumières enfumées cherchant à découvrir à travers les fissures de leurs fenêtres mal jointes un peu de cette lumière si attendue. Ils la virent enfin …
Bientôt, sous la douce influence du soleil et des autans, la neige fondit si rapidement que chacun put quitter sa froide prison, étaler au soleil ses membres anesthésiés et mesurer les ravages du triste hiver.
Tandis qu’on allait se comptant partout, plaignant les disparus, félicitant ceux que la rigueur de la saison avait épargnés, soudain, un soir, on entendit un roulement formidable répercuté par toutes les collines.
« Une avalanche s’était formée sur les hauteurs, elle avançait grossissant toujours, entrainant dans sa marche rapide tout ce qui s’opposait à son passage. »
Je ne sais si mes lecteurs ont jamais, de près ou de loin aperçu un de ces immenses blocs de neige qui, au printemps, descendent du haut des montagnes, menaçant d’écraser des villages entiers. C’est effrayant. Un rocher qui se détache, un glaçon qui tombe, un rien suffit pour former le noyau de ces masses roulantes de neige qui s’amoncellent, s’amoncellent toujours. Et si une pointe de rocher ou quelque obstacle invincible ne vient à les briser, malheur aux villages qui se rencontrent sur leur chemin.
On tremblait à Aulon. A peine remis des émotions et des fatigues d’un long hiver héroïquement enduré, on allait se trouver aux prises avec un ennemi autrement terrible, autrement puissant que celui de la veille. La constitution saine et robuste de ces montagnards de fer avait, après tout, pu résister à des froids excessifs, à des privations pénibles. Mais que faire contre la force brutale et irrésistible de l’avalanche ? Fuir ? On n’en avait pas le temps; se cacher ? mais où se cacher ? l’avalanche était là ! Elle passa comme une trombe.
« Un craquement formidable se fit entendre, puis plus rien. Aulon avait presque disparu tout entier sous une lourde montagne de neige. »
Voilà qu’aussitôt les villages voisins s’ébranlent. Guchen donne le signal. On monte chargé d’instruments pour déblayer au plus vite et rendre à la lumière et à la vie ceux, qui, par le plus grand des hasards, auraient pu ne point périr. Mais que peuvent quelques centaines de bras humains ?
En vain le jour et la nuit se passent-ils dans ce pénible labeur malgré tous les efforts l’ouvrage marche lentement.
Après trois jours de fatigues inouïes, la pioche touche aux maisons. Hélas ! Partout le silence de la mort. Dans les maisons croulées, rien que des cadavres, les uns broyés sous les décombres, les autres crispés et asphyxiés. On cherche, on cherche encore. Le cinquième jour, et quand le travail allait toucher à sa fin, un léger bruit se fait entendre. La pioche manœuvre avec une activité fiévreuse.
Le bruit se rapproche, une femme enfin apparait. (…) Il s’agissait de Jeannette Marsan. »
En l’honneur de ce miracle, une confrérie fut créée à Aulon en l’honneur de Notre-Dame des Neiges.
Consultez la monographie de l’instituteur Cérèze sur le site des archives départementales des Hautes-Pyrénées
Merci pour m’avoir fait découvrir cet étonnant récit. Et nous nous plaignons pouir un oui, pour un nom !
Quelle belle et triste histoire, Suzanne.
Oui, Suzanne. Il y a bien souvent des choses intéressantes dans les témoignages des anciens. A+
Les anciens sont la mémoire de ces vallées . Pour ceux qui sont encore en vie , j’adore converser avec eux ; leur regard est bien intéressant .
Merci pour ce témoignage !
Remercions également au passage les Archives Départementales, qui, par leur travail, ont permis de porter à la connaissance de tous ces documents.