Nouvelles technologies et valorisations d’un patrimoine : les marbres, des Pyrénées à Versailles
THÈSE en vue de l’obtention du Doctorat de l’Université de Toulouse
Délivrée par l’Université Toulouse Jean Jaurès – 4 octobre 2016
Valentine Châtelet
Extrait concernant les carrière de marbres (NDLR : dit « Le Sarrancolin ») issu des carrières de Beyrède, Sarrancolin et Ilhet (page 223) :
« Sur le site de Sarrancolin, Beyrède-Jumet et Ilhet, les carrières concernées par l’emprise du projet ont succédé à des exploitations ayant commencé à la Renaissance pour certaines, voire dès l’époque antique, sans que la localisation exacte de ces dernières ne soit connue ; il s’agit là du mythe d’un rapport à l’empire de Rome souvent repris en Gaule. Ce n’est que pendant la période moderne que l’activité marbrière reprit, pour l’extraction et le transport des blocs. En fait, ce marbre apparaît simultanément, en 1556, sur la façade de l’hôtel de Molinier à Toulouse et sur celle du Louvre d’Henri II, où il est fourni à Pierre Lescot par l’architecte toulousain Dominique Bertin. Une chose est sûre cependant, les carrières surplombant la vallée d’Aure furent largement exploitées sous les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, étendues sur le versant de Veyrède (ancienne appellation de Beyrède) à partir de 1714 ; puis l’exploitation fut officiellement et« définitivement » suspendue en 1771. Relancée au XIXe siècle, elle fut alors assurée par la société Dervillé jusqu’à la fin des années 1930. D’ailleurs, d’autres carrières étaient en exploitation dans la vallée d’Aure à la fin du XIXe siècle, comme l’attestent les mentions de Charles-Louis Frossard sur le « vert de Grézian » et le « vert de Guchan » notamment.
Concernant les carrières de Sarrancolin, Ilhet et Beyrède-Jumet, elles restèrent ensuite en sommeil pendant une cinquantaine d’années, avant d’être reprises en trois points des versants montagneux, sur les sites de Beyrède-Jumet, d’Ilhet et de Sarrancolin :
- le site de Beyrède-Jumet ouvrit en 1989, contigu à l’exploitation moderne attribuée au duc d’Antin, et est exploité par la société Plo depuis 1991 (NDLR : Marbre d’Antin ou Versailles)
- le site d’Ilhet est exploité par la société Plo depuis 1993 (marbre Opera Fantastico)
- Le site de Sarrancolin (marbre vert de l’Oule) était exploité pour la production de granulats par OMG (Onyx Marbres Granulats basée à Saint-Béat) depuis 1993. Ces deux dernières exploitation ouvrirent au début des années 1990, après qu’une piste de six kilomètres a été aménagée pour desservir la carrière de Sarrancolin. (NDLR : Depuis c’est une société suisse qui a repris l’exploitation du marbre de l’Oule – teinte verte en référence à la couleur de l’eau du lac de l’Oule ?
Cette revalorisation – industrielle – des ressources marbrières de la vallée semble désormais s’inscrire dans une stratégie plus globale de valorisation du passé du territoire, dans la mesure où les références illustres sont mises à contribution de manière inédite – bien que très incomplète et parfois singulière – dans les documents officiels, pour décrire l’activité extractive et en défendre le bien-fondé. C’est en tous les cas ce que fait le Schéma départemental des carrières des Hautes-Pyrénées de 2005, qui décrit les caractéristiques géologiques de la zone et conclut : « Le nuancier des teintes de ces matériaux est d’une étonnante diversité, particulièrement mis en valeur par les surfaces polies. Les exploitations marbrières actuelles de Sarrancolin, Beyrède, Ilhet […] ou ancienne de Campan (Espiadet) possèdent des références prestigieuses : château de Versailles, Trianon, hall du C.H.U. de Toulouse et sont reconnues à l’étranger ».
De cette façon, le schéma départemental des carrières inscrit l’activité extractive dans une tradition historique et dans des applications contemporaines de productions architecturales considérées comme majeures. Dans la vallée, ces ouvertures de carrières n’ont pas rencontré d’opposition associative, si ce n’est, pour la carrière de l’Oule sise sur la commune de Sarrancolin, deux observations allant dans le sens de la protection du site, mais non-retenues par le commissaire-enquêteur ni par la commission des sites en charge de l’attribution de l’autorisation d’exploitation.
Du point de vue de la valorisation touristique et patrimoniale, le Pays d’art et d’histoire (PAH) des vallées d’Aure et du Louron a été créé en 2008, alors que Robert Marquié était en fonction en tant que maire de Sarrancolin et conseiller général des Hautes-Pyrénées. Ce PAH a pour mission de valoriser les patrimoines paysager et architectural et les savoir-faire locaux ; dans ce cadre, le marbre n’est pas au cœur des actions de médiation, même s’il en fait partie au même titre que les autres activités du territoire.
Or, l’activité marbrière s’inscrit dans l’histoire du territoire et les carrières imposent des marques dans le paysage. L’office du tourisme de Sarrancolin relaie l’information relative à des visites guidées de carrières en activité, animées par Xavier Marquié, géologue et marbrier, dont les propos, nourris de son expérience de marbrier, s’inspirent par ailleurs des travaux de recherche historique de Pascal Julien. Le site de La maison des cailloux permettent de découvrir la carrière d’Antin datant de l’époque moderne, où des blocs à moitié équarris sont visibles en hauteur sur la paroi (ill.36) ; et, à quelques dizaines de mètres de là, l’actuel front d’exploitation est visible depuis la route, ce qui autorise le guide à présenter in situ l’évolution des techniques dont les parois rocheuses portent les marques. Enfin, les communes de Sarrancolin et de Beyrède ont commandé en 2013 des mobiliers urbains (fontaines, margelles) en marbres de la vallée dont la réalisation a été assurée par des artisans locaux.
La valorisation industrielle du matériau est soutenue sur ce territoire par une politique volontariste et se tourne vers le tourisme industriel, se déclinant ainsi en valorisation culturelle, mêlant commentaires géologiques (sur la formation de la roche), historiques et techniques (sur l’histoire de la pratique extractive), de même qu’esthétique (références prestigieuses). Elle cherche en outre à sensibiliser le public à l’histoire du territoire et de sa population, dont les marbres font partie, par un usage local du matériau notamment. »
In « Valentine Châtelet. Nouvelles technologies et valorisations d’un patrimoine : les marbres, des Pyrénées à Versailles. Art et histoire de l’art. Université Toulouse 2 Jean Jaurès, 2016. Français. ffNNT : ff. fftel-01555276 »